Résilience

Cèpe d’Amérique, 2018, Halina Bukowiecki

Cèpe d’Amérique, 2018, Halina Bukowiecki

Cette photo représente pour moi la résilience. Je l’ai prise par une belle journée de septembre dans une petite forêt magique. Ce qui m’impressionne, c’est que ce petit cèpe d’Amérique a dû faire confiance qu’il était sur le bon chemin malgré toutes les aiguilles de pins et autres brindilles qui l’empêchaient de pousser. Il a fait confiance ou il n’avait pas le choix ?

Pour moi, fin novembre et début décembre sont un temps de réflexion naturelle sur la mort et la résilience parce que la saison est propice à l’intériorité, mais aussi par mon histoire personnelle de deuils familiaux. C’est le temps de l’année où mon corps me rappelle de toutes sortes de façons, par le besoin de siestes et d’innombrables tasses de thé surtout, que je dois prendre un peu plus de recul et honorer le chemin parcouru. Ce processus de réflexion me permet de mieux rebondir. D’ailleurs, le mot résilience vient du latin resilire qui veut dire rebondir ou rejaillir.

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, auteur et survivant lui-même, décrit la résilience ainsi : « C’est l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. Ce terme est souvent employé par les sous-mariniers de Toulon, car il vient de la physique. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. »

La psychologue américaine Emmy Werner a fait une étude longitudinale pendant 30 ans sur des enfants à risque à Hawaii. Au bout de l’étude, elle a observé que 70 % des enfants devenus adultes éprouvaient de sérieuses difficultés (chômage, dépendance, grossesse à l’adolescence, etc.), mais à son étonnement 30 % des enfants de l’étude ont réussi à « s’en sortir ». 

Les chercheurs ne savent pas pourquoi certaines personnes sont plus résilientes aux difficultés et aux traumatismes que d’autres. Chez les enfants, ils notent que le tempérament, le milieu actif des premières années de la petite enfance et l’environnement soutenant ou non par la suite ont un rôle à jouer. 

Mais la recette exacte ils ne la connaissent pas.

Dans les moments difficiles de ma vie, je me suis souvent sentie comme ce petit champignon qui pousse sans avoir de certitude quant aux résultats de ses efforts. Et je ne peux même pas identifier le facteur de résilience qui m’a permis de pousser à travers les brindilles. Je pense que beaucoup de gens ont cette expérience dans leurs épreuves. Ils traversent les écueils de la vie sans trop savoir comment ils les ont surmontés.

Et qu’en est-il de la résilience physique ?

Radiographie de mon félin fêlé, juin 2018, Halina Bukowiecki

Radiographie de mon félin fêlé, juin 2018, Halina Bukowiecki

Mon félin un peu fêlé s’est déjà fêlé une hanche en sautant du balcon du troisième étage. En voyant sa radiographie plusieurs années plus tard, j’ai été émue en constatant le peu de séquelles sur sa structure osseuse. Deux chutes terrifiantes d’un balcon au troisième étage, une grippe féline presque mortelle en petite chatonance (enfance de chaton), ses origines modestes à la SPCA et plusieurs batailles perdues d’avance avec sa sœur chatmmouth, une créature préhistorique féroce, ont laissé peu de traces sur mon félin fêlé en fin de compte pas si fragile. Il faudrait probablement une résonance magnétique sur son cerveau ou plusieurs heures psychatnalystisme pour faire un portrait complet de son histoire. J’aime bien croire que mes massages ont contribué à sa résilience, mais quand je regarde sa radiographie, j’entrevois un mystère plus profond qui raconte l’histoire de plusieurs générations de survivance génétique félidée.

Avec mes clients en massothérapie, je suis émerveillée chaque jour de voir la résilience des corps humains. Boris Cyrulnik compare la résilience au tricot. La « maille traumatisée » change la direction de la prochaine ligne de tricot, mais n’empêche pas nécessairement de compléter le gilet. 

À l’occasion, je peux sentir une ou plusieurs mailles traumatisées qui ont façonné le corps qui se trouve à ce moment-là sur ma table de massage. Comme ce petit champignon, le corps peut être un peu croche, mais la force et la beauté de sa résilience gagnent sur les imperfections des mailles. Je pense qu’une des clés de la résilience est de voir la beauté de la maille traumatisée dans l’ensemble du gilet, sans minimiser l’effet du traumatisme, mais sans non plus garder notre attention uniquement sur ses effets néfastes. Un équilibre bien souvent difficile à atteindre. Des fois pour atteindre cet équilibre, il faut prendre un peu de recul pour voir le champignon dans son ensemble et honorer le processus de résilience.

Comment les évènements marquants de votre vie ont-ils changé votre corps ? Les évènements significatifs peuvent être des traumatismes (blessures, maladies, et stress majeurs), mais aussi des expériences plus heureuses (les accouchements) ou les habitudes quotidiennes (le genre de sport pratiqué, le travail et la posture de travail, l’endroit où l’on vit, les loisirs pratiqués, le mouvement au quotidien, etc.). Pourquoi réfléchir à tout ça ? Comprendre comment notre corps a été tricoté peut nous aider à mieux en prendre soin. Un portrait plus complet de nos traumatismes avec le narratif de notre histoire de résilience peut nous aider à non seulement survivre, mais à mieux tricoter notre vie.

Tricoté serré, 2019, Halina Bukowiecki

Tricoté serré, 2019, Halina Bukowiecki

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