Yutori ou l'art de la pause

Mon chat qui signe ma calligraphie de yutori.

Mon chat qui signe ma calligraphie de yutori.


Je suis née trois semaines en retard.

Du moins, c’est l’histoire racontée dans ma mythologie familiale. Donc, mon combat avec le temps remonte au moment où le médecin m’a forcé de sortir du bain douillet dans lequel je flottais. J’étais bien et je ne comprenais probablement pas pourquoi je devais me précipiter avant le temps. Quand on m’a forcée à sortir, je suis sortie vite et en rouspétant. Depuis lors, je suis souvent tout juste pour mes rendez-vous, plus souvent encore 5 à 15 minutes en retard, et je rouspète beaucoup. Quand j’ai entendu pour la première fois le mot yutori, un déclic s’est fait. 

Yutori en japonais signifie le confort ou l’espace pour respirer. En fait, yutori est l’espace qui se trouve dans un moment calme. Par exemple, yutori peut être décrit comme l’espace qui se trouve entre 2 gorgées de thé, le moment dans lequel on savoure les effets d’une gorgée de thé sans se précipiter vers la prochaine. Un moment de pause. Un moment pour savourer la transition.

La poétesse Naomi Shihab Nye raconte sa première rencontre avec le mot yutori : « Une fille, en fait, m’a écrit à Yokohama une note le jour où je quittais son école, qui est devenue la note la plus importante que tous les étudiants m’ont écrite depuis des années. » La jeune étudiante a décrit yutori ainsi : « Eh bien, ici au Japon, nous avons un concept appelé yutori. Et c’est l’espace. C’est une façon de vivre avec de l’espace. Par exemple, vous partez suffisamment tôt pour arriver à un endroit et vous savez que vous allez arriver à l’avance. Ainsi, lorsque vous y arrivez, vous avez le temps de regarder autour de vous. » Elle a ensuite donné plusieurs exemples différents de yutori. L’un d’entre eux était : après avoir lu un poème, vous pouvez le tenir, vous pouvez être dans l’espace du poème. Et le poème peut vous contenir dans son espace.

Dans une entrevue, le célèbre violoncelliste Yoyoma dit que la musique a lieu dans l’espace entre les notes (Music happens between the notes) et Claude Debussy a dit avant lui que la musique c’est le silence entre les notes. 

Le silence, l’espace ou la pause ne sont pas vides. Au contraire, ils sont pleins. Ils sont pleins de l’empreinte d’un moment passé et plein du potentiel d’un moment futur. Yutori c’est le liquide interstitiel de nos vies. Il n’a rien de glorieux, rien de flash, rien de remarquable. Un moment de yutori ne se retrouvera probablement pas dans les lignes de notre journal intime. Quand on raconte les évènements à la fin de sa journée, on ne parle probablement pas de ces petits moments d’espace. Ils restent inaperçus aux autres, mais peuvent être précieux pour nous.

Sur le plan physiologique, il n’y aurait pas d’échange de nutriments sans ce liquide interstitiel entre les cellules. Sans yutori dans nos vies, il n’y aurait qu’une succession d’évènements avec peu de nutriments de signification, de perspective, de connexion et d’appréciation. C’est dans un moment de yutori que nos pensées et nos émotions peuvent composter pour créer un terreau fertile pour nos prochaines expériences.

Je rencontre des gens qui craignent, rejettent ou ne comprennent pas le silence encouragé dans la méditation. Je pense qu’ils ont reçu l’instruction de faire le vide, un vide qui ressemble au néant. Au contraire, j’encourage les gens dans mes ateliers de méditation à chercher la plénitude de la pause. Un moment de pause dans lequel ils peuvent savourer ce qui est dans leur corps dans l’instant présent, avant que le prochain moment les amène à nouveau dans le tourbillon de la vie.

Un massage peut aussi faire un effet de yutori dans nos vies. Le moment de détente permet à notre corps de se déposer et ainsi créer plus d’espace pour vivre pleinement.

À bien y penser peut-être que je vivais un moment de yutori dans le ventre de ma mère, un moment pour apprécier la transition avant de découvrir la planète terre. Je suis encore souvent en retard, mais de temps en temps, je réussis à me créer des moments avec un peu plus d’espace, des moments de transitions un peu plus longs qui permettent à mon système nerveux de me mettre au diapason de la prochaine note de ma vie et de savourer un peu plus le goût entre les gorgées de vie.



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